Nouveau recordman du tour des îles
Britanniques en Class40, Ian Lipinski est arrivé à Cherbourg, ce vendredi
après-midi. Le skipper de Crédit Mutuel prend le temps de raconter son épopée.
– Ian, qu’est-ce qui rend ce record aussi beau et aussi dur à conquérir ?
« Clairement, c’est le parcours qui m’intéressait au départ. Sur le papier,
il se présentait exigeant et engagé. On sait que, quand on s’engage dans ces
zones, ça peut être très compliqué sur le plan météo. Psychologiquement, c’est
quelque chose de s’y attaquer. Ce qui le rend beau, ce record, c’est que la
route est engagée et complexe, avec des contraintes différentes tous les jours.
Ce n’est pas une traversée de l’Atlantique : il y a la côte, le trafic,
les cailloux, et le fait d’être au nord, ce qui nous met dans le passage des
dépressions. Et puis, c’est assez long ».
– Tu y as cru de bout en bout ? Comment tu as géré toutes les phases de
cette tentative ?
« Il y a eu des hauts et des bas, des moments où on sentait que c’était
bien parti, au début, et le gros coup dur lorsque j’ai été arrêté dans la molle
au large de l’Ecosse. La météo est redevenue favorable et, le jour qui a
précédé l’arrivée, j’ai eu un coup de stress avec un fichier météo qui
m’annonçait de la pétole. Le fichier n’était pas juste, j’ai eu du vent jusqu’à
la ligne. J’ai été rapide sur la fin, pendant une quinzaine d’heures, mais ça
n’a pas été le cas tout le temps : je ne fais pas 10 nœuds de moyenne sur
l’ensemble du record ».
Le mardi de course a été particulièrement complexe…
« J’ai eu un problème de capteur de vent, d’aérien, qui faisait que le
pilote fonctionnait en mode dégradé. L’équipe de Madintec a trouvé une solution
que je n’aurais pas pu imaginer, ce qui m’a permis de retrouver un pilote à
100% d’exploitation. J’ai eu un pilote incroyable : je n’ai quasiment
jamais barré.J’ai aussi eu un problème d’énergie, pour lequel on a fini
par trouver une solution temporaire. Et tout ça le même jour que la grande
pétole au large de l’Ecosse et l’Irlande… »
– Tu as nourri une relation particulière
avec le bateau ?
« Je l’ai bien apprivoisé ! Cela m’a décomplexé de naviguer sur un 40-pieds.
C’est un bateau plus dur physiquement qu’un Mini, mais ça a plein d’autres
avantages. C’est plus gros et ça passe bien dans trente nœuds de vent au près ».
C’était la première fois que tu naviguais en solitaire avec un routeur. Tu
as apprécié l’exercice ?
« La relation à distance avec Christian Dumard a été géniale. J’ai adoré
la communication permanente avec lui, à parler de la météo et à saisir sa
manière de m’aider dans les prises de décision. J’ai beaucoup aimé cette
collaboration, moi en mer, lui à terre. Christian a été très bon. Il est très
calme, il a une connaissance de l’exercice du record. Même quand c’était dur sur
le plan mental, il avait les mots pour me remobiliser. Il a une analyse de
marin : il sait ce qu’est être en solitaire sur un bateau ».
– Peux-tu raconter la route et ce que tu as aimé ?
« Le passage au nord des Shetland, c’était magique, malgré la nuit, le
vent et les nuages. La mer était démontée, il y avait du vent, et tu passes ras
les cailloux dans un endroit mystérieux. Il y a eu le passage de l’île Saint-Kilda,
de nuit également, tout aussi prenant. Et puis, il y a eu un bord après les Shetland
sur lequel le bateau fonçait à « Mach12 ». J’étais enfermé à
l’intérieur, assis sur mon pouf, à espérer qu’à chaque vague cela ne finisse
pas par une sortie de route. Un vague passait, avec son lot de stress, puis une
autre, et encore une autre… Je me disais qu’il fallait peut-être ralentir, mais
en même temps, vu que j’étais là, autant passer vite. Ça a duré des heures, ce suspense,
rehaussé à chaque vague… Finalement, c’était grisant ! »
– Quel sentiment domine, à l’issue de ce record ?
« Je suis content, serein. Le travail est fait et bien fait. J’ai bien
appris, je me suis constitué un super bagage pour la suite, avec une to do
list pour progresser encore. J’ai acquis l’expérience que j’étais venu
chercher, et j’ai un meilleur regard sur la route qui mène à la Route du Rhum. Mission
accomplie ! »