Depuis 21 jours, Ian Lipinski et Amélie Grassi se frottent à la plus longue étape de la Globe40, 6903,8 milles nautiques entre Mindelo (Cap-Vert) et l’île de la Réunion. À l’entame de la quatrième semaine de course, le Class40 Crédit Mutuel a repris la tête, au prix d’une formidable trajectoire dans l’océan Indien. Faisons le point.

Il est des étapes qui comptent, dans une vie de marin. La victoire, une Transatlantique, le franchissement de l’équateur, les mers du sud, les trois caps qui jalonnent la route d’un tour du monde dans le sens des courants : le cap de Bonne-Espérance, le cap Leeuwin, le cap Horn. Ian Lipinski et Amélie Grassi avaient vécu bien des choses depuis le début de leur carrière, mais cette étape gigantesque entre Mindelo et la Réunion leur a permis de découvrir ensemble les Quarantièmes Rugissants et le cap de Bonne-Espérance. Pour le skipper, c’est la concrétisation de ce qui l’avait motivé à courir ce tour du monde en double avec escales : arpenter de nouveaux territoires et découvrir le royaume de la longue houle.
C’était hier
Mais il faut avouer que Ian Lipinski et Amélie Grassi avaient du mal à se satisfaire de la deuxième place qu’ils occupaient derrière le tandem constitué par Benoît Hantzperg et Renaud Dehareng qui, jusqu’à présent, dominait les débats. Le duo du Class40 Crédit Mutuel avait beau savoir qu’il avait préservé un tempo de marathonien dans le contournement de l’anticyclone de Sainte-Hélène, ces quelque vingt milles qui les séparaient des leaders les contrariaient un petit peu. Le menu de la semaine qui vient de s’achever était copieux puisque le duo a glissé son étrave sous le 40°S, entrant ainsi dans les Quarantièmes Rugissants, où les dépressions se succèdent, venant de l’est et levant à cette latitude septentrionale une houle typique de la seule région du globe où l’océan ne se heurte à aucune terre émergée.
La semaine a été contrariée par un problème matériel, une voile récalcitrante qui a demandé beaucoup d’efforts aux deux navigateurs. Jointe la nuit dernière, Amélie Grassi résumait la situation : « Cette voile a été notre principal combat au début du portant dans le sud ; nous n’avons pas vraiment trouvé de solution, donc il est rangé et ç’en est fini de cette bataille ». Mardi dernier, le Class40 Crédit Mutuel a passé le cap de Bonne-Espérance et, quelques heures plus tard, en parant le cap des Aiguilles, il entrait dans l’océan Indien. Le tandem n’aura rien vu de l’Afrique du sud, puisqu’il était déjà collé, depuis quatre jours, à la ligne virtuelle de la zone des glaces, interdite à la navigation, et positionnée au 42°S, à plus de 400 milles de la latitude de Bonne-Espérance.
Ces cinq derniers jours, au plus bas du champ de jeu, le Class40 Crédit Mutuel et son principal rival Belgium Ocean Racing se sont livrés corps, mécanique et âme dans une bataille d’empannages assez saisissante : on en dénombre 25 pour le duo Lipinski-Grassi, lancé dans une conquête inlassable de pouillèmes de milles. « C’est vrai, s’amuse Amélie Grassi, qu’on s’est bien donné ! On a économisé quelques empannages par rapport à l’idéal, mais pas grand-chose, et on a fait beaucoup de matossage (le transfert des choses lourdes d’un bord à l’autre) à chaque fois. Cela nous a coûté pas mal d’énergie, quelques douleurs dans les épaules et, surtout, on a mangé énormément. Mais je pense qu’on a eu froid, aussi, tout en bas ».
Il n’est en effet pas rare de trouver dans ces latitudes des eaux à environ 5° Celsius, et les matières composites d’une coque de bateau n’ont pas l’isolation thermique pour destination… « On a utilisé un petit chauffage, mais pas beaucoup, parce que c’est important de garder du carburant pour nourrir les batteries si nécessaire. J’avoue être assez conservatrice. Ian dit que je suis un tyran… Nous avons chauffé au plus froid du froid, et avec duvets, ça le faisait quand même pour récupérer… Mais je dois avouer qu’on récupère mieux quand on met le chauffage ».
Cet engagement permanent (et les petits apports de chaleur) ont porté leurs fruits. Dans la nuit de jeudi à vendredi, le Class40 Crédit Mutuel a repris la tête de cette deuxième étape, gommant sa vingtaine de milles de retard et conquérant à peu près autant de marge en insistant plus longtemps dans les latitudes les plus extrêmes. « On a poussé le curseur de l’engagement assez loin dans cette bataille d’empannages, peut-être plus que ce qu’on avait projeté de faire, mais on n’est pas déçu de l’avoir fait, sourit la co-skipper. On a moins enchaîné au cours de ces 24 dernières heures et nous avons bien récupéré de cet effort ».
Et maintenant ?
Ce vendredi matin, Ian et Amélie sont à plus de 1600 milles de la Réunion, soit 3000 kilomètres… et rien ne sera vraiment simple ni rapide. « Il n’y a pas beaucoup de vent sur la route, nous serons sur des angles assez serrés, à des allures où ces bateaux ne sont pas hyper rapides. On est devant une bonne semaine à tricoter des bords pour remonter vers la Réunion. Il nous faudra être en forme, à bien nous reposer pour rester lucides sur les choix stratégiques et pour tenir dans la pétole (l’absence de vent) qui nous attend dans les phases de transition d’un système météo à l’autre. Autant nous n’avions pas l’impression d’avoir fait la meilleure des trajectoires en début de course, autant nous sommes satisfaits de notre trace dans le sud : nous avons bien exploité le vent, sa force et ses rotations, et nous avons réussi à nous positionner comme nous l’espérions pour attaquer le dernier morceau de vent portant pour atteindre une nouvelle rotation du vent qui devrait nous permettre de ressortir avec une confortable avance sur notre concurrent ! »
Ce vendredi matin, le Class40 Crédit Mutuel comptait plus de 27 milles d’avance sur Belgium Ocean Racing. Un petit peu plus au sud, et surtout plus à l’est, Ian Lipinski et Amélie Grassi étaient positionnés de manière à profiter au maximum de la dépression qui court à leur rencontre. Cette dépression a été particulièrement bénéfique au duo allemand composé de Lennart Burke et Melwin Fink. Les deux navigateurs de Next Generation Boating Around the World, débiteurs de plus de 400 milles sur la tête de course il y a une semaine, ont gommé près de la moitié de leur retard. Les cinq autres Class40 sont à plus de 1000 milles des leaders. Ainsi va le sud.
Globe40