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Dans la tête de Ian Lipinski et Antoine Carpentier 

Que se passe-t-il dans l’esprit des deux marins du Class40 Crédit Mutuel, dans ces moments qui comptent ? Immersion dans la tête de Ian Lipinski et d’Antoine Carpentier à quelques jours du départ de la 16e édition de la Transat Jacques Vabre, dont le départ sera donné ce dimanche à 13h41 pour les Class40. 

Comment gérez-vous la période d’avant-course ? 

Ian Lipinski : « Je passe beaucoup de temps à visualiser. J’ai besoin de m’enfermer dans une bulle et de vivre en images les premiers moments, la ligne de départ, les manœuvres qu’il faudra faire, les changements de voiles, les premiers bords. Ce que je dois parvenir à faire, c’est déconnecter : je visualise tellement que, quand j’essaie de dormir (les jours qui précèdent la course), je pense à trop de choses, de manière trop intense.

Antoine Carpentier : Je suis plutôt du genre à profiter des derniers moments à terre. Je suis détendu, relax, pour éviter que monte trop vite la pression. Je veille aussi à faire un bon avitaillement de produits frais. Les trois derniers jours, comme Ian, j’entre dans la météo, mais je ne le fais pas avant : à J-10, ça n’est pas fiable. Ce n’est qu’à partir de ce moment-là que je commence à me projeter dans la course.

L’au revoir aux familles


Ian : Cela a souvent été un moment compliqué pour moi, et la famille ne venait pas au départ. On se dit au revoir ailleurs que sur le village parce que j’ai besoin d’entrer dans ma bulle. Ces au revoir m’affectaient pas mal quand les enfants étaient petits. On a plus l’habitude et ça devient de plus en plus léger. Une fois en mer, je suis totalement investi dans la course. 

Antoine : Avec 15 jours de village et trois semaines de course, une Transat Jacques Vabre induit un long temps d’absence. C’est toujours compliqué, j’ai un presque ado et une petite fille de 9 ans, et ces moments sont durs pour eux et moi. Une fois qu’on s’est dit au revoir, j’ai plaisir à leur parler au téléphone, mais on est soumis à un tel niveau de concentration, en vigilance 24/24, que le cerveau se formate et focalise sur la performance et la sécurité.

Les temps longs de la course 

Ian :
 Les temps longs ne sont pas ceux où on n’avance pas : il y a alors beaucoup à faire lors qu’il n’y a pas de vent. Le temps long, c’est quand on est sur l’autoroute et que tout roule, dans des conditions stables. Il n’y en a pas beaucoup, dans une transat. Et, lorsqu’il y en a un, comme au cap Vert il y a deux ans, la densité de la flotte fait que tu cherches les bons coups à jouer. Le plus long, c’est lorsque tu sors de la compétition sur une avarie. 

Antoine : On est connecté de tous nos sens avec le bateau, si bien qu’il se passe toujours quelque chose, sauf peut-être quand les conditions sont identiques plusieurs jours. Le temps devient long quand il n’y a plus d’enjeu. 

La tête dans la baston 

Ian : 
S’installe une tension nerveuse autant physique, parce que c’est dur à vivre. Ça tape, il y a beaucoup de bruit, les nerfs se tendent. Tu es aux aguets. Tu sens que ça force, tu espères qu’il n’y aura pas d’imprévu, de casse. En tout cas, la tête et le corps sont prêts à intervenir. Ce n’est pas dans ces cas-là qu’il y a le plus de travail. Si tu as la bonne toile, que tu es bien réglé, tu es prêt à affronter la baston.

Antoine : Si tu es au portant, tu dois te mettre à la barre pour faire mieux que le pilote automatique, qui ne voit pas les vagues. Si tu es au près, tu ne te mets pas à la barre, mais tu règles finement tes voiles. Le mot d’ordre est le même : aller vite sans casser. Un stress se rajoute donc : pour conduire vite, il faut être au bord de la casse, sans jamais franchir la ligne rouge. Ces bastons rendent compliquée la vie à bord. Va te faire un café, avec une main accrochée au bateau… Une fois, j’ai dû m’attacher dans ma bannette tant ça bougeait. Ne pas se blesser, oui, c’est un sujet de stress. 

La gestion des désaccords 

Ian :
 Il n’y a pas de désaccords, il n’y a que des discussions : le consensus arrive toujours. Il n’y a jamais à trancher – et c’est vrai. Même en cas de discussions et de doutes, c’est toujours le consensus qui l’emporte. 

Antoine : On est toujours en symbiose sur les voiles. Il peut y avoir des discussions sur les choix stratégiques, mais on échange des arguments et les meilleurs l’emportent. On peut aussi regarder les choses de manière mathématique, par rapport à la flotte. Ian étant le skipper, s’il faut trancher, on fera ce qu’il a envie de faire, et on le fera à fond, même en cas de désaccord. Si on ne le fait pas à fond, on ne saura jamais qui avait raison.

Quels guerriers sur l’eau ?


Ian :
 J’ai évolué. Je suis toujours très compétiteur, mais l’expérience me fait comprendre que je dois être plus froid. Ce n’est pas un match de rugby, la voile. Il y a de la longueur de temps, et le mode guerrier est très intérieur. On va au bout de nos limites, alors on ne peut pas se tromper d’état d’esprit. Il faut tempérer les amplitudes émotionnelles, ce qui est un vrai sujet pour moi dont le naturel va trop fort, trop loin dans mes émotions. 

Au sens primaire, l’esprit guerrier est le plus présent quand, alors que tu es fatigué, tu dois choisir d’aller au charbon pour faire deux empannages pour gagner un peu plutôt que de faire un tout-droit. C’est là, quand tu remets ton ciré, tes gants et que tu y retournes en mettant tes tripes dans les deux manœuvres, dans les matossages, que tu es vraiment guerrier. 

Antoine : Je parle souvent de combat de rue, moi. J’adore ça, quand ça frotte entre les bateaux pour la gagne. D’expérience, les plus belles victoires sont celles que tu arraches aux autres. Pour rester guerrier, il me faut 3 à 5 heures de sommeil, par tranches, sur 24 heures. Il me faut donc un bon sommeil et je l’ai avec Ian, parce que je sais à quel point le bateau sera bien mené pendant que je dormirai. Sur les 10, 12 Class40 qui peuvent gagner, il y en a, des guerriers. Les vainqueurs seront ceux qui auront duré le plus longtemps. 

Et la tête dans la fête ? 

Ian :
 On essaie de gagner sur l’eau, on doit rester compétitif à terre ! Sérieusement, ce qui m’a toujours attiré dans la voile, c’est le côté convivial, fraternel avec les concurrents. La course, c’est aussi se retrouver après, partager des moments, se raconter la course. Si tout le monde se retrouvait à partir une fois la ligne d’arrivée franchie, ce sport perdrait un peu de son intérêt ». 

Antoine : Même si nous sommes concurrents, nous faisons un spectacle que les gens suivent de la terre. C’est important d’en parler, de prendre le temps d’échanger avec ceux qui suivent nos aventures. Une victoire avec deux jours d’avance passionne moins qu’une course qui finit bord à bord. Et puis il faut nourrir la solidarité qui fait la voile ; nous ne sommes pas concurrents en permanence: nous savons mettre la course de côté pour de belles troisièmes mi-temps ». 

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