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« La suite ? Ben il faut traverser la mer ! »

Voici une semaine, ce lundi matin, que Ian Lipinski et Antoine Carpentier dévalent l’Atlantique. D’un pas hésitant d’abord, le temps de se rassurer sur la solidité du mât de remplacement et du gréement, puis d’une allure plus que soutenue ensuite, les deux skippers du Class40 Crédit Mutuel ont parcouru 1800 milles depuis Lorient. Il leur en reste un peu plus de 2400 à arpenter jusqu’à Fort-de-France. 

Dans ce contexte si particulier où le pire – un démâtage quelques heures après le départ – s’est mêlé à l’inhabituel – une Transatlantique coupée en deux en raison des tempêtes –, Ian et Antoine réalisent une course époustouflante. Ce matin, 160 milles dans le sud des Canaries, le duo pointait en 5e position avec le peloton de chasse, à 15 milles des leaders situés dans le nord, mais plus à l’ouest, tandis que s’approche l’heure de mettre le clignotant à droite pour traverser l’Atlantique d’est en ouest. 

Hier, Ian a pris son plus beau clavier pour raconter cette semaine rude, mais épatante : « Ça y est, nous sommes entrés solidement dans les Alizés. La descente jusqu’aux îles Canaries, que nous avons passées ce matin, a été contrastée. Les trois premiers jours dans du vent fort et dans le nez, puis du vent de travers pour traverser une dorsale anticyclonique. Nous sommes aujourd’hui heureux d’avoir passé ces obstacles, en particulier le passage du front au niveau du cap Finisterre, que je redoutais particulièrement. Notre démâtage récent a sûrement joué sur notre début de course. En effet, avec un mât à peine remis sur le bateau, en n’ayant fait qu’une seule petite navigation d’essai, il était compliqué pour nous d’appuyer tout de suite et à fond sur l’accélérateur. Réduisant donc la toile dans le golfe de Gascogne, nous avons pris du retard sur les leaders dès le premier jour. C’était sans doute raisonnable, mais nous allions moins vite que ceux qui portaient toute la toile possible.

Ces trois premiers jours ont donc été éprouvants pour les bateaux, mais aussi pour ceux qui s’accrochaient à leur bateau. On fait éternellement le même constat, mais à chaque fois, on se surprend à endurer ce genre de conditions. Dehors, les embruns fouettent les yeux, il ne fait pas chaud et c’est surtout très, très humide. Et dedans, ce n’est pas beaucoup plus sec. Les cirés gouttent un peu partout et on essaie d’éponger le plus régulièrement possible toute l’eau que l’on ramène avec nous à l’intérieur. On essaie de préserver de l’humidité la « zone de sieste », mais on hésite toujours entre se changer pour dormir, ou rester en bottes et cirés pour être prêts à intervenir et donner un coup de main à celui qui est dehors. 

On est sans arrêt aux aguets, à essayer d’anticiper les prochains coups. Les coups stratégiques : soigner sa trajectoire et réfléchir au meilleur chemin à suivre. Et les coups de manœuvre. Quelle sera la prochaine ? Un changement de voile, une prise de ris, un virement ? Comment allons-nous nous y prendre ? 

Et tout cela se fait tandis qu’on se cramponne comme on peut pour ne pas sauter au plafond à chaque vague, pour ne pas valdinguer à travers le bateau. Il faut aussi vivre le quotidien : manger, se changer, les toilettes (ce n’est pas le plus glamour, mais dans ces conditions, ça fait autant partie de la panoplie du coureur au large que de savoir s’en sortir).

Bref, après trois jours qu’on qualifiera de « durs », c’est une délivrance quand le vent, enfin, daigne tourner aux alentours de Lisbonne. Enfin on peut envoyer des voiles plus rigolotes que la trinquette ou le génois. Du coup, on rentre un peu plus en « mode régate », c’est-à-dire qu’on commence à être moins préoccupé par l’intégrité du bateau et de ses occupants que par la course en elle-même. Ce moment est aussi celui où il faut commencer à récupérer l’énergie laissée en route. Car les siestes ont été courtes et agitées.

Et enfin, la bataille sous spi au portant commence au sud de la dorsale. On envoie le maximum de toile et on cherche à tirer les bons bords pour rejoindre les Canaries, passage un peu obligatoire, considérant que les alizés sont très faibles plus au nord. Le jeu consiste à contourner la haute pression où le vent et faible, mais dont la courbure nous intéresse, afin de minimiser la route. Le jeu reste de trouver le meilleur compromis entre moins de route à faire et choisir là où le vent est plus fort… Et on tire des bords, et on se croise et se recroise, et on compte à chaque fois les milles gagnés ou perdus. On essaie de s’appliquer sur les réglages de voiles, la conduite du bateau, la répartition du poids embarqué… On ne s’ennuie pas, même si cela peut paraître étrange. Cette activité nous demande beaucoup de concentration, d’application, de réflexion… et des courbatures dans les vertèbres à cause de cette position tordue face à la barre et la tête tournée vers l’avant.

Ce dimanche matin, nous avons passé l’île de Gran Canaria, avec ses sommets arides et ses bords de côte construits avec un goût… particulier. Des souvenirs me reviennent : une arrivée de la première étape de la Mini Transat, remportée à quelques secondes près après trois jours de pétole. J’y ai repensé avec un peu de nostalgie en passant devant, mais cela n’a pas duré, la faute « à » Axel Tréhin qui réussissait à « glisser » de quelques degrés de mieux que nous !

La suite ? Ben il faut traverser la mer ! »

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